BATI'life - Evénements, communication et business networking des acteurs de la construction
 
BATI'life

Elisabeth Pélegrin-Genel - Décryptage de nos lieux de vie, de travail, de mobilité

 

Architecte DPLG, urbaniste et également psychologue du travail, Elisabeth Pélegrin-Genel s'est spécialisée dans les espaces de travail.

Seule ou en collaboration avec des consultants, elle intervient sur les problématiques de travail, d’espace et d’organisation dans les entreprises et accompagne le changement.

Au sein de l’agence Architecture Pélegrin, elle participe à différents projets de recherche, de développement et de construction sur le bureau à énergie positive, l’habitat bioclimatique et la réhabilitation. 

Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages,  notamment "L’angoisse de la plante verte sur le coin du bureau" chez ESF éditeur, 1994, "L'Art de vivre au bureau", chez Flammarion, en 1995, "espaces de bureau" aux éditions du Moniteur en 2006. "Tours de bureaux" chez le même éditeur l’année suivante.

En avril 2010, elle publie "Des souris dans un labyrinthe" aux éditions de la Découverte, les empêcheurs de penser en rond.

 

BATI’life : Elisabeth Pélegrin-Genel, dans votre dernier ouvrage, "Des souris dans un labyrinthe", vous étudiez nos lieux de vie, de travail et de mobilité, espaces privés ou publics, et déchiffrez leurs impacts sur notre quotidien, leurs contraintes spatiales. 

L’habitat semble être le parent pauvre en terme d’évolution d’aménagement de ses espaces en comparaison avec d’autres secteurs tels que l’école, les bureaux ou encore les médiathèques.

Pourtant effectivement, pour les  habitants, c’est leur préoccupation majeure, leur premier poste de dépenses et l’objet d’un énorme investissement affectif. Dans un monde de plus en plus rapide et « transparent » l’habitat reste le  lieu d’une certaine immobilité et un refuge encore privé, personnel et familial. D’une certaine façon, la maison est un synonyme de famille. Et la famille évolue à grand pas !

Du point de vue économique, oui, le logement (et pas seulement son évolution) est le parent pauvre des politiques avec 100 000 sans abri et plus de trois millions de mal-logés. 

 

BATI’life : A partir de votre travail d’observation, d’après vous, quelles tendances se dégagent pour la construction et l’aménagement de nos logements de demain ? 

Les souhaits et les attentes des français sont largement connus au travers des enquêtes et la production courante du logement. On dispose aussi de nombreux travaux de chercheurs, d’études et on sait parfaitement décrire le logement de demain. (Ceci dit, dans beaucoup d’enquêtes, on prend le logement ou la maison « en soi «  sans poser de question sur le quartier, l’environnement, le contexte, ce qui est dommage car cela limite singulièrement la problématique). 

Cependant on peut noter que le logement est rarement en avance sur les modes de vie, il suit péniblement les changements, avec beaucoup de retard sur les mentalités et les évolutions.

Par exemple le modèle dominant est toujours un logement pour un couple avec deux enfants qu’on imagine toujours « petits », c’est-à-dire avec des besoins qui n’ont rien à voir avec ceux d’adolescents ou de jeunes adultes. 

Et puis les logiques financière et économique priment : locataire, il est toujours difficile de changer de logement, entre les garanties demandées et les aléas des parcours professionnels. Quand on se lance dans l’acquisition, c’est une aventure qu’on renouvelle une fois ou deux dans sa vie. On déménage surtout suite à des accidents de la vie, séparation, divorce, veuvage, chômage et dans ces cas-là on est rarement en position de force pour trouver un logement adapté…

 

BATI’life : Peut-on songer à un habitat que l’on pourrait recomposer en fonction des besoins et des cycles de vie ?

Dans les travaux de recherche, depuis plus de trente ans, on tire ce fil du logement évolutif, où on pourrait adjoindre sans problème une pièce ou deux lorsqu’il faut accueillir des enfants ou des parents âgés ou au contraire en céder une à son voisin … quand les enfants quittent la maison. On vise aussi à mutualiser des espaces et des services, à traduire spatialement des mots comme entraide et solidarité. On sait ce qu’il faudrait faire et on sait comment le faire. Seulement, dans la plupart des cas, le logement est vu comme un produit standardisé et banalisé, où les problèmes de gestion et de maintenance doivent être réduits au minimum. 

Il semble néanmoins qu’on assiste  à un regain d’initiatives collectives à l’image de ce qui se passe couramment en Allemagne. Des personnes se regroupent et construisent pour elles-mêmes un immeuble répondant à leurs aspirations, à leurs désirs de mutualiser au lieu de gaspiller, à leur engagement éco-citoyen, à leur volonté de vivre ensemble. Ces projets sont prometteurs et devraient faire tâche d’huile. Mais il y a un écueil : ce sont souvent des gens qui se ressemblent, qui ont le même âge et des situations à peu près semblables, qui partagent le même mode de vie. La mixité (sociale et générationnelle) ne sera peut-être pas au rendez-vous. 

 

BATI’life : De nombreux facteurs sont venus modifier notre manière de concevoir l’habitat -  travail à la maison, importance des loisirs, éclatement de la cellule familiale, enfants qui restent de plus en plus longtemps à la maison … - on souhaite vivre désormais dans des espaces toujours plus ouverts, où les frontières entre le collectif et le privé se dématérialisent.

Mais peut-on vraiment vivre dans un espace ouvert en harmonie avec les autres ?

Chacun souhaite plus d’espace, plus de lumière, un rapport plus simple à la nature… On veut de grands espaces fluides pour soi mais on oublie qu’il faut les partager à plein temps avec sa famille, à mi-temps avec des familles décomposées-recomposées, sur un temps donné avec des parents vieillissants ou de jeunes adultes qui ne trouvent pas d’emploi et donc pas de logement. C’est compliqué tout cela. Par dessus le marché on a ces représentations idylliques de grandes tablées familiales respirant le bonheur, le temps de l’apéritif, avant que tout ne tourne au drame. 

Et surtout on a pris cette habitude avec l’ordinateur et le téléphone portable de partager ce que l’on voit, d’être en réseau, de se montrer et de donner à voir ce que l’on a sous les yeux ; On a pris l’habitude de s’exposer, d’être sans arrêt sous les regards des autres et soi-même de regarder les autres dans tous les aspects du quotidien dans un face à face ambigu : le succès des émissions de téléréalité témoigne de ce brouillage entre l’intime et le public.  Mais on a tous besoin d’une sphère plus privée, d’une bulle qui n’appartient qu’à soi et on n’y arrive pas toujours…. 

 

BATI’life : Face au vieillissement de la population, comment la France anticipe t-elle les besoins des séniors en matière d’habitat (pour une autonomie la plus longue possible chez eux) ?

Pour l’instant, on associe vieillissement de la population et logement adapté aux personnes à mobilité réduite. C’est une avancée mais cela ne résout qu’une partie du problème. On ne fait pas encore systématiquement de douche de plein pied par exemple, mais on prévoit désormais des salles de bains avec baignoire accessible en fauteuil roulant. Pour que les personnes âgées puissent rester le plus longtemps possible chez elle de façon autonome, ce n’est pas seulement une histoire de logement mais tout un contexte à repenser. Il faut revoir notre modèle d’expansion urbain, notre dépendance à la voiture, et renouer avec de la densité, avec le collectif et la mixité, pour préserver l’insertion des séniors dans la cité et trouver les équipements de proximité qui leur sont nécessaires. La domotique pourrait se révéler une aide précieuse avec ses détecteurs de chute, avec l’automatisation de certaines fonctions, fermer ou ouvrir des volets, une porte etc., avec sa liaison facile avec des permanents susceptibles d’intervenir en cas de besoin.

 

BATI’life : Depuis quelques années, confort, hygiène et santé, sont devenus des préoccupations prépondérantes pour nos concitoyens.

Qualité de l’air intérieur et extérieur, nuisances visuelles et sonores, fonctionnalités des pièces et des espaces ... Pensez-vous que de nouveaux métiers vont émerger ou assisterons-nous à une évolution du rôle de l’architecte pour prendre en compte ces paramètres dans l’acte de construire et d’aménager nos habitats de demain ?

Un projet qui prend en compte les enjeux du développement durable inclut naturellement ces problématiques de santé et d’hygiène.

Je ne crois pas que cela appelle d’autres métiers spécifiques : une conception saine, avec des matériaux sains, centrée sur l’usage et les évolutions de ces usages c’est bien le métier principal des architectes non ? Et l’architecte ne travaille jamais seul, il est déjà bien entouré de multiples compétences qui chacune devrait concourir à mettre la santé et le bien-être au cœur de la construction.

Le confort, c’est un autre registre : nos standards de confort sont de plus en plus élevés. On commence seulement à accepter l’idée que la circulation en voiture puisse être réduite, limitée. Par contre, on s’est habitué à être en permanence dans une atmosphère contrôlée et climatisée, été comme hiver, au bureau, dans la voiture, dans les centres commerciaux, et de plus en plus à la maison. Est-ce que nous sommes prêts à renouer avec des variations de température, à prendre l’escalier plutôt que l’escalator ou l’ascenseur, à marcher 500 mètres ?  Changer les comportements et surtout les habitudes  risquent de prendre un certain temps….

 

BATI’life : De grands projets architecturaux proposent de réunir espaces d’habitation, de travail et de loisirs au sein de « cités-tours » ? Que pensez-vous de ces projets d’architecture verticale ?

Ces grands projets témoignent de la prise de conscience de l’importance de la mixité : mixité fonctionnelle, sociale, générationnelle … c’est un premier pas. 

Cependant, cette mixité légitimement recherchée peut prendre beaucoup de formes et produire des ambiances très différentes. Je ne suis pas persuadée, sauf dans certains sites particulièrement contraints et limités géographiquement, que ce soit la typologie « verticale » qui réponde le mieux à notre recherche de développement durable,  d’une  vie plus en prise avec la nature et le climat. Faut-il troquer notre dépendance à l’automobile pour devenir prisonnier des circulations verticales, des ascenseurs si peu propices aux échanges ? Il y a sûrement plein d’autres alternatives !

 

BATI’life : Merci Elisabeth Pélegrin-Genel. Peut-on connaître le thème de votre prochain ouvrage ?

Avec les souris dans un labyrinthe j’ai voulu apporter un autre regard sur le banal et l’ordinaire. Décoder les dispositifs spatiaux à l’œuvre dans n’importe quel espace quotidien, et attirer l’attention sur ce que cela veut dire de nous-mêmes et de notre société. Essayer de montrer qu’on se fabrique un monde de transparence et de mise en scène de soi, souvent « à notre insu mais de notre plein gré ! », un environnement basé sur des logiques marchandes qui laminent tout sur leur passage.  Tout naturellement au terme de ce travail, je me pose des questions sur la production de l’espace (au sens où l’entendait le philosophe Henri Lefebvre). Je vais donc continuer mes explorations des espaces…

 

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Interview BATI’life – Juillet 2010

Propos recueillis par Esther Pinabel

 

 

TÉLÉCHARGEMENT